Préparée et réalisée par Dominique Boulay
Photos © Serge Orlik et Pim Photographie
Rod Barthet est un chanteur, guitariste, auteur et compositeur que l’on considère habituellement comme l’un des meilleurs du Blues Rock français. Il a déjà joué un peu partout, Allemagne, États-Unis, Macédoine, Grèce, Mexique, Suisse, Espagne Slovaquie et Equateur. Son groupe s’intitule Rod & The Shotgun Blues. Son 1er album remonte à 93 et ses derniers albums sont caractérisés par une très grande qualité.
© Pim Photogtaphie
Blues Magazine > Dans ton album précédent, tes chansons faisaient la part belle aux textes littéraires. Or ce nouvel album Le Phare des Infortunes marque un retour au Blues. Peux-tu nous en dire un peu plus sur ce changement de cap ?
Rod Barthet > J’ai toujours été habité par le Blues, même quand mes albums prenaient une direction plus Rock. Avec ce nouvel album, je voulais effectivement mettre plus de l’essence même de ce qui m’a fait aimer la musique : l’émotion brute, le groove. C’était le bon moment pour revenir à cette couleur musicale avec plus d’intensité.
BM > Peut-on dire que c’est un retour aux sources ?
RB > Le Blues, c’est mon 1er amour musical. Il a été mon point de départ, ce qui m’a fait vibrer dès mes débuts. Quand j’avais 6 ans, j’avais à ma disposition le 1er album de Johnny Winter, que j’écoutais et que j’écoute toujours avec plaisir et admiration. J’ai appris à jouer, à ressentir chaque note, à exprimer des émotions brutes avec une guitare et quelques accords avec le Blues. Après toutes ces années de musique, d’expériences, d’explorations, j’ai ressenti le besoin de revenir à quelque chose de plus essentiel, plus direct. Le Blues est une musique intemporelle. Ce qui m’intéresse, c’est d’y apporter ma propre sensibilité, de le faire résonner avec mes textes en français, avec mon vécu, avec les sonorités qui me parlent aujourd’hui.
BM > 30 ans de carrière, 12 albums, quel regard as-tu sur cette aventure qui dure ?
RB > Quand je regarde en arrière, je ressens avant tout une immense gratitude. 30 ans, c’est à la fois long et court, car la passion est toujours là, intacte. Cette aventure musicale, c’est une route jalonnée de belles rencontres, comme John Lee Hooker pour n’en citer qu’un, et d’expériences, de moments forts, sur scène comme en studio, des pays visités, l’Amérique du sud, les États-Unis, l’Europe. On évolue, on expérimente, on affine son identité artistique, mais on garde toujours cette étincelle du départ. J’ai eu la chance de travailler avec des musiciens incroyables, de partager la scène avec des artistes que j’admire, et surtout de créer un lien avec le public qui me suit et m’accompagne dans cette aventure. Évidemment, il y a eu des hauts et des bas, la route n’est pas en ligne droite, parfois c’est la marche arrière, le sur place, des périodes de doute, des moments d’euphorie. Mais c’est ça qui rend cette carrière si précieuse : l’authenticité du chemin parcouru, les histoires derrière chaque chanson, chaque album. Aujourd’hui, je ressens encore plus l’envie de jouer, d’explorer de nouvelles choses, de prendre du plaisir à chaque note, chaque mot posé sur une mélodie. Et surtout, ce qui me porte, c’est cette certitude que tout reste encore à écrire et ce sentiment de m’améliorer au fil du temps. Tant que la passion est là, que l’envie de raconter des histoires en musique ne faiblit pas, l’aventure continue.
BM > Que peux-tu nous dire sur cette collaboration avec Joseph D’Anvers, qui a écrit les paroles de 5 morceaux sur ce nouvel album ?
RB > Joseph a une plume magnifique, très imagée et sensible. J’aime sa façon d’écrire, qui laisse toujours une part de mystère et d’interprétation. Travailler avec lui a été une évidence. Il a su mettre des mots sur des émotions que je voulais transmettre, et ça a donné des morceaux très forts, où texte et musique se répondent parfaitement.
© Serge Orlik – Rod Barthet et Fred Chapellier
BM > Peux-tu nous expliquer les raisons (et donc les envies) de jouer avec Neal Black, Fred Chapellier et Éric Sauviat ?
RB > Ce sont des musiciens incroyables, chacun avec une personnalité et un jeu qui apportent une couleur unique à l’album. Neal Black, c’est un grand Bluesman, avec une intensité et une authenticité rare, c’est devenu un ami. Fred Chapellier, que je connais depuis plus longtemps, est lui aussi un ami. À mon avis, c’est le meilleur guitariste de Blues en France, son toucher est exceptionnel. Éric Sauviat, c’est un complice de longue date, on se connaît depuis plus de 20 ans, c’est un musicien sensible et inventif et c’est un vrai plaisir de jouer avec lui. Il joue avec moi sur scène depuis presque 2 ans. Jouer avec eux a donné à cet album la richesse et la profondeur que je voulais.
BM > Peux-tu nous dire quelques mots sur la formation qui t’accompagne pour les concerts ?
RB > Sur scène, j’ai la chance d’être entouré de musiciens talentueux et passionnés. L’idée est de garder une formation authentique, avec une section rythmique solide, une guitare expressive. Ce sont des musiciens avec qui je partage une vraie connexion, ce qui permet de donner une énergie particulière à chaque concert. Paul l’Hôte est à la batterie, Linaël Carmont à la basse, Éric Sauviat à la guitare et Fred Maggi au piano et clavier.
BM > Avec À L’Ombre Des Sycomores et Le Phare Des Infortunes, on est loin de My Baby Left Me et Early In The Morning. Est-ce que cela signifie une envie de te démarquer ?
RB > C’est une évolution naturelle et, effectivement, une façon de me démarquer des autres Bluesmen en développant mon propre univers. Le Blues a toujours été une base, un langage musical qui me parle profondément, mais j’ai toujours eu cette envie d’explorer ses différentes facettes, de le nourrir d’autres influences et de le faire évoluer avec moi. Avec cet album, j’avais envie d’aller vers quelque chose de plus poétique, plus narratif. Le Blues, ce n’est pas seulement des riffs et des histoires de cœurs brisés, c’est aussi une façon d’exprimer des émotions profondes, de raconter des récits de vie, de plonger dans des atmosphères. Ascendant Johnny Cash, À L’Ombre Des Sycomores et Le Phare Des Infortunes illustrent bien cette volonté d’élargir le spectre du Blues, de le mêler à une écriture plus imagée, plus cinématographique parfois. Dedans il y a plus de cette essence qu’est le Blues. Dans tous mes albums passés ou futurs, il y a et aura toujours cette essence. Mais je fais en sorte que cette essence s’habille différemment, avec des textes qui s’éloignent des clichés du genre. Et cela m’a fait plaisir que Fred Chapellier me dise aimer mes chansons justement pour cela. Je suis allé chercher d’autres émotions, d’autres histoires. C’est une manière pour moi de rester fidèle à ce que je suis en tant qu’artiste, sans chercher à rentrer dans une case. J’aime surprendre, me laisser guider par ce qui me touche, et cet album est le reflet de cette liberté musicale.
© Serge Orlik – Rod Barthet et Éric Sauviat
BM > Comment composes-tu les morceaux, les textes inspirent-ils la partie guitare ou le contraire ?
RB > Ça dépend des morceaux. Parfois, c’est une suite d’accords ou un riff de guitare qui crée une ambiance et m’inspire un texte. D’autres fois, j’ai déjà des mots en tête, une histoire à raconter, et je cherche ensuite la musique qui va les porter. Ce qui est sûr, c’est que la guitare et les paroles doivent toujours se répondre, se nourrir l’un l’autre pour créer une alchimie. Composer un album est la partie que je préfère de mon métier, avoir une page blanche et une guitare devant soit, c’est magique.
BM > Parle-nous de ton rapport si particulier avec la langue française, que tu magnifies en la faisant sonner Blues.
RB > Le français est une langue magnifique, riche en nuances et en images, mais elle a parfois la réputation d’être plus difficile à faire groover que l’anglais, notamment dans le Blues. Pourtant, j’ai toujours pensé que c’était un défi intéressant à relever : trouver comment faire résonner la musicalité des mots avec le feeling du Blues. Et surtout, c’est ma langue natale et quoi de plus naturel que de chanter en français quand on habite en France et que tout le monde parle français ! Dans le Blues traditionnel anglophone, les phrases sont souvent courtes, percussives, avec une rythmique naturelle qui colle à la musique. En français, il faut parfois ruser, jouer avec les sons, les assonances, les césures, pour retrouver cette fluidité. J’aime sculpter mes textes pour qu’ils s’inscrivent naturellement dans la mélodie, qu’ils participent au groove au même titre que la guitare ou la batterie. Le Blues en français me permet d’aller encore plus loin dans l’expression, de donner une intensité particulière aux histoires que je raconte. J’essaie de garder ce mélange entre des textes poétiques et imagés, et une manière de chanter qui reste instinctive, pour conserver l’essence du Blues. J’aime explorer toutes les sonorités possibles, expérimenter entre le parler et le chanter, faire sonner les mots comme une 2nde guitare. Pour moi, le Blues n’est pas qu’une musique, c’est une manière de dire les choses avec le plus de sincérité possible. Je constate qu’après les concerts le gens viennent me dire qu’ils sont heureux de comprendre les textes. Pour la petite histoire, un organiseur de concerts d’une salle qui accueille beaucoup de formations de Blues en anglais m’a dit : tu es un des meilleurs concerts de l’année et cerise sur le gâteau, tout le monde a compris tes textes !
BM > Selon toi, peut-on plaquer les accords Blues sur n’importe quel texte ?
RB > Oui et non. Techniquement, on peut toujours adapter une structure Blues à un texte. Certains sujets s’y prêtent mieux que d’autres, notamment ceux qui évoquent des sentiments profonds, des histoires de vie, de résilience. Après, l’essentiel c’est d’y mettre l’âme et la sincérité nécessaire pour que ça sonne vrai. Je fais des ateliers écriture de chansons en milieu scolaire, établissement psychiatrique et en EHPAD et, bien sûr, parfois c’est rigolo de poser des textes écrits par des collégiens sur du Blues, mais justement c’est original est très sympa.
© Serge Orlik
BM > Quelles sont tes attentes avec ce nouvel album ?
RB > Avant tout, j’espère que cet album trouvera son public, qu’il touchera ceux qui aiment le blues-rock, la chanson, ceux qui aiment les textes et les sensations brutes. Mon envie, c’est que cet album vive, qu’il se partage, qu’il résonne différemment chez chaque auditeur. J’espère qu’il suscitera des émotions, qu’il accompagnera des moments de vie. Évidemment, j’ai aussi hâte de le défendre sur scène, là où je m’épanouis aussi, j’aime cet échange direct avec le public. Et puis, au-delà de la sortie de l’album, j’espère qu’il me permettra de continuer à évoluer, à faire de nouvelles rencontres, explorer d’autres facettes de mon univers musical. Chaque projet ouvre de nouvelles portes, et j’ai envie que celui-ci m’emmène encore plus loin.
Il ne reste plus aux lecteurs que le choix d’un lieu et d’une date pour vivre l’expérience Rod Barthet en live. Une chose est certaine : ils ne seront pas déçus du voyage !
ROD BARTHET
Le Phare des Infortunes
Festivest / InOuïe
Une carrière de 30 ans et 12 albums, cela commence à compter. C’est d’autant plus remarquable qu’entre les 2 derniers albums, c’est le jour et la nuit. Autant À l’Ombre des Sycomores était habillé de textes très graves, accompagnés de mélodies sur des rythmes variés dans un style très chanson française, autant Le Phare des Infortunes est résolument Blues, y compris dans les textes. La collaboration de Boris Bergmann y était sans doute pour quelque chose sur l’opus précédent, malgré une collaboration J D’Anvers déjà présente. Et 2 ans plus tard, le fruit du travail commun entre le natif de Pontarlier et l’auteur compositeur interprète de Nevers résonne comme une bombe incendiaire carrément plus Blues. Rod a signé 7 morceaux tandis que la collaboration avec J D’Anvers ne se poursuit que sur 5. La présence des 2 pointures de la scène Blues hexagonale que sont Fred Chapellier et Neal Black, ainsi que le travail d’Eric Sauviat vient corroborer mes remarques. Rod (gtr/clav/cht) est accompagné de Martial Baudouin (bs/bat). Une paire de musiciens qui accomplissent un boulot titanesque en compagnie des 3 mousquetaires de la guitare. 12 titres joués sur un tempo Rock’ n Roll assumé. Rod nous fait passer un super moment où la réconciliation entre la langue de René Fallet et les sonorités Blues est parfaite.