Préparée et réalisée par Christian Le Morvan
Photos © Éric Martin
Après le succès de l’album hommage à Calvin Russell, Manu Lanvin nous revient avec un nouvel album, Man On A Misson, plus personnel, comme souvent le sont ses disques, mais cette fois-ci, avec un petit plus, difficile à expliquer, avec ce mélange de Blues, de Rock, de Pop, de Soul, de jolies ballades, et cette voix énorme ! Ça respire la sincérité, l’authenticité en toute humilité, toujours avec le respect des autres, un artiste mature, honnête avec lui-même. À l’écoute, cela nous a titillé l’oreille, et l’envie était évidente qu’il nous raconte la genèse de ce nouvel opus.
Blues Magazine > Manu bonjour, commençons par un flash-back. Quels retours as-tu sur ton excellent album hommage à Calvin Russell ?
Manu Lanvin > Les retours ont été très positifs et les résultats totalement inattendus, puisque nous sommes rentrés dès la 1ère semaine de ventes dans le top 100 des albums tout tops confondus. Vous savez, nous les marginaux, nous sommes, dans l’industrie musicale française, très peu considérés par les gros médias, alors nous devons nous battre durement pour exister. Satisfait, je le suis, que ce tribute ait pu contribuer à faire perdurer la musique de Calvin. Grâce à ce projet, beaucoup se sont mis à réécouter sa musique. D’autres même, et je pense aux plus jeunes qui ne le connaissaient pas ou peu, et qui ont eu l’envie de le découvrir. C’est donc une mission accomplie pour moi, avec les invités incroyables que j’ai pu réunir sur cet hommage.
BM > Revenons au vif du sujet. Man On A Mission est un album beaucoup plus personnel. Quel en est le fil conducteur, voulais-tu faire passer un message ou simplement raconter une histoire de ta vie ?
ML > Tous mes albums sont des projets personnels. Je n’ai jamais voulu singer ou plagier la musique des anciens, qui m’ont pourtant inspiré tout autant qu’ils m’ont aidé à devenir musicien. En respectant cet héritage que j’ai indirectement reçu, j’ai toujours cherché à être le plus pertinent et original possible dans mon songwriting. Et pour cela, il faut aller chercher au fond de soi. Il n’en demeure pas moins qu’effectivement avec l’âge, car je suis plus à la fin de la route qu’au début… on se livre avec le temps plus facilement, en tout cas plus naturellement. Nos filtres de défense tombent, car il n’y a plus la peur du jugement des autres.
BM > Tu as co-écrit les textes avec des artistes comme Neal Black, Axel Bauer… Comment cela s’est fait ?
ML > Je travaille depuis longtemps avec Neal Black sur l’écriture de mes textes en anglais. Nous nous connaissons extrêmement bien, ainsi notre workshop fonctionne à merveille (rire). Je lui apporte mes idées, mes phrases déjà en formation dans les maquettes, mes refrains, les hooks comme disent les Ricains. Et après, il me fait de la couture sur mesure, avec son talent énorme de songwriter. C’est un tel kiffe de travailler avec Neal. Il a la passion, l’envie et la force dans le travail.
BM > Pour la musique, tu es aux manettes ?
ML > Oui, je compose généralement tout. Sauf cette fois, j’avoue avoir volé un instrumental à Axel Bauer, que j’ai pu écouter un soir chez lui, et sur lequel j’ai totalement flashé. Je pense que notre Just Need Me donne une magnifique ouverture à l’album. C’est un tel honneur pour moi qu’Axel ait accepté de collaborer sur cet album. Puis j’ai aussi encouragé mon clavier, Bennett Holland, et sa compagne chanteuse July Clarskon, un autre ami arrangeur Quentin Bachelet, ainsi que Craig Walker (ex archive), à me rejoindre pour l’écriture de certains titres. J’aime partager mes moments de création avec des gens talentueux. Je fais encore partie de ceux qui pensent que l’union fait la force ! Je ne peux d’ailleurs pas isoler de la recette Nikko Bonnière, c’est bien lui le maître d’œuvre de Man On A mission. Nikko a toujours été un élément essentiel du Devil Blues depuis le tout début de cette aventure jusqu’à aujourd’hui. D’ailleurs, c’est lui qui m’a enfermé en plein hiver dans une petite maison de pêcheur du côté des Sables-d’Olonne, et qui m’a dit : Allez Manu, compose-nous des chansons. Tu ne sortiras pas d’ici tant qu’on n’aura pas de quoi faire un bon album. Je lui dois beaucoup sur ce projet.
BM > Dans cet album, il y a du Blues, de la Soul, du Rock, voire de la Pop. Ce sont tes influences que tu as voulu mettre en avant ?
ML > Je sais qu’on cherche toujours à mettre une étiquette musicale sur un artiste pour le ranger dans une catégorie. Le Blues en France est une catégorie qui englobe beaucoup trop de courants musicaux. C’est d’ailleurs souvent un mot générique un peu fourre-tout, pour classifier un artiste qui propose en fait autre chose que de la variété française, du Rap ou de la musique classique ou Electro. En ce qui me concerne, je n’ai jamais fait du pur Chicago Blues ou du pur Delta Blues. Même si j’en ai été fortement inspiré, le Devil Blues, depuis sa naissance, a toujours été la somme d’influences Rock, Pop, Soul et Blues.
BM > Je trouve que tu es allé (avec bonheur) plus loin que d’habitude avec de jolies ballades, des cris d’espoirs : Change My Way, Savigny-sur-Orge, Could It Be Love, Une Nuit… Peux-tu nous en raconter les raisons ?
ML > La Soul, mon cher ami (rire), je commence enfin et à peine à accepter ma voix. Alors, j’ai décidé de la débrider un peu plus dans cet album, à contenir et modérer la puissance vocale, qui est bien souvent une planque pour un chanteur, il faut le dire, pour aller me frotter davantage à la douceur et au terrain émotionnel. J’espère que j’y suis un peu arrivé sur les chansons que tu cites.
BM > Tu chantes majoritairement en anglais, et là tu as enregistré un titre en français, Une Nuit. Pour quelle raison et pourquoi pas le titre Savigny-Sur-Orge en français ?
ML > Comme tu le sais, on joue de plus en plus à l’étranger, donc je ne peux plus trop mettre de titres en français dans mes albums. Je ne désavoue pas pour autant ma langue maternelle, que j’aime plus que tout. J’ai donc réservé le français uniquement pour le titre sur lequel c’était une évidence qu’il soit en français. Une Nuit est, je crois, une belle respiration à la fin de l’album. Une vibe et un Blues bien parisien, un peu emprunt, je l’avoue, de mon mentor Paul Personne. La rareté fait le prix des choses me dit souvent mon père. Alors, un seul titre en français donne à cette ritournelle encore plus de valeur.
BM > Tu as rassemblé un bon nombre de musiciens sur le disque : Axel Bauer, l’excellent Mick Ravassat à la slide, le talentueux Bako Mikaelian à l’harmonica, et même Beverly Jo Scott aux chœurs… Comment s’est fait le choix de ces musiciens ?
ML > Il y a toujours des musiciens de dingues sur mes albums (rire), car j’aime les musiciens de dingues ! Par ego, bien trop d’artistes s’empêchent l’excellence des autres. Moi, le talent des autres m’intéresse, car j’en ai moins qu’eux. Je crois d’ailleurs avoir réunis sur Man On A Mission certains des meilleurs batteurs français : mon fidèle Jimmy Montout, bien sûr, mais aussi Raphaël Chassin, Michaël Desir et Julien Audigier. Des tueurs, mes copains ! Et sans oublier que les Haggis Horns sont aussi sur l’album, cette section de cuivres qui a joué sur les albums de Mark Ronson, d’Amy Winehouse, de Jamiroquai et de tant d’autres pointures anglaises.
BM > Tu as beaucoup bourlingué pour cet album. Est-ce l’envie de faire voyager l’auditeur, une nécessité d’aller aux racines de tes musiques ou un besoin à ta création ?
ML > Exactement, j’avais besoin d’aller là où était née la musique que j’aime, et emmener l’auditeur dans ce joli voyage. Oh non, ce n’est pas un hasard si j’ai enregistré à Sheffield, la ville natale de Joe Cocker, ou encore à Nashville dans le studio de David Briggs, le pianiste d’Elvis Presley. Sans être un illuminé, la voix des anciens m’a conduit tout au long de l’album. C’est ce que je confesse d’ailleurs dans le titre Man On A Mission.
BM > Question technique : tu possèdes une voix grave, puissante, rocailleuse à souhait, faite pour le Blues et le Rock. Comment la travailles-tu sans la casser, est-ce l’effet du bourbon (rire) ?
ML > Tu veux vraiment connaître ma recette ? Ne jamais travailler sa voix ! Et comme je ne bois plus, cela doit donc bien venir d’ailleurs. Peut-être un vilain défaut dans mes cordes vocales, qui est devenu au fil du temps un atout possible pour la musique que je voulais faire. Le chemin est long lorsqu’on est grand fan d’Otis Redding, de Rod Stewart ou d’Al Green. Puis allez, on ne va pas se mentir, David Jacob, un chouette ami bassiste me confiait : on joue et on chante comme on est. Les coups de la vie et l’érosion du temps ont dû faire un peu le travail de façonnage.
BM > As-tu une tournée en préparation pour présenter l’album, et sur scène, gardes-tu toujours ton groupe initial ?
ML > Une tournée en 2026, oui, mais surtout le Bataclan le 21 novembre prochain ! C’est tellement symbolique et important pour moi de revenir jouer sur cette si jolie scène, malgré ce qu’on en retient de plus terrible… Il faut pourtant savoir résister à la bêtise humaine, continuer à divertir et unir le monde entier par la musique, et toujours se dire que l’amour vaincra ! Et ce sera bien avec mes frères d’armes Jimmy Montout et Nicolas Bellanger. Je continuerai cette jolie croisade sur terre, tant que j’en aurais le souffle pour.
BM > Merci Manu pour tes réponses, as-tu quelque chose à ajouter ?
ML > Restons groupés les amis. Nous formons par ici et avec l’aide de Blues Magazine une belle bande de résistants. Croyons en nous et continuons ensemble le combat, le bien contre le mal, le beau contre le moche, le bon contre le rien. À bientôt.
MANU LANVIN
Man On A Mission
Gel Production
Après le beau succès du tribute hommage à Calvin Russell, Manu Lanvin revient avec un album beaucoup plus personnel et un retour à ses influences Rock, Blues, Soul, qui l’on amené à voyager entre Paris, Nashville, Montréal… pour se rapprocher de ses inspirations. Des compositions coécrites avec des artistes comme Axel Bauer et surtout Neal Black, que l’on retrouve tout au long de l’album. Manu a fait venir quelques musiciens pour l’enregistrement : l’excellent Mick Ravassat à la guitare slide, le talentueux harmoniciste Bako Mikaélian, mais aussi Beverly Jo Scott et Ahmed Mouici aux backing vocals. Ses interprétations passent du Blues au Rock avec sa voix grave, puissante et rocailleuse à souhait : Just Need Me, What’s The Matter With U, Man On A Mission, Saving Angel (plus Soul) ou I got The Blues, comme son nom l’indique plus Blues. Mais il est allé plus loin sur des ballades aux mélodies expressives et déchirantes, où sa voix fait merveille : Change My Ways (superbe), Savigny-sur-Orge, I Don’t Wanna Say Goodbye, Une Nuit chanté en français… Man On A Mission est de toute beauté dans l’interprétation, dans les textes et musicalement. Et puis, que d’émotion dans la voix ! Un très bel album.
Christian Le Morvan